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Promenades casamançaises

samedi 3 avril 2010 par Sylvain Guérin

Le premier mars dernier voyait Parsifal franchir allègrement la passe de Djifer qui garde l’entrée du Saloum. Sur la table à cartes est étalée bien en évidence la carte d’entrée de la Casamance, prochaine escale programmée de notre maison flottante.

Chaque passage au poste de navigation me voit consulter un peu anxieux cette carte aux levées plutôt antiques présentant un tableau vraiment chaotique de l’entrée de la Casamance, un champ de mines parsemé de bancs de sable. Cette passe a toujours été redoutée par les nombreux marins désireux d’aller plonger dans les délices de ce petit paradis terrestre qu’est la région casamançaise. Depuis quelques jours, je rassemble fièvreusement toutes les notes prises par les bateaux ayant emprunté ce passage, recopie et reporte sur la carte les points de passage décrits par d’autres, les mises en garde sur une éventuelle dérive due au vent et aux courant, ainsi que sur une forte houle qui peut, en se combinant au jusant, transformer l’entrée en un véritable enfer.

Arrivée en casamance

Toute une longue nuit de veille plus tard, au milieu des eaux peu profondes parsemées de pêcheurs, de pirogues et de filets, nous sommes en vue de la bouée marque d’eaux saines de la Casamance. La passe est à deux milles plus au sud, l’histoire d’une vingtaine de minutes passées à réviser toutes les instructions. Et puis, voilà que s’ouvre miraculeusement devant nous un chenal très clair, marqué proprement tous les 200 mètres de bouées toutes neuves, éclairées, vertes à tribord, rouges à babord. La catastrophe du Joola est passée par là. Le nouveau ferry assurant la liaison Dakar-Zinguinchor a été complété d’un rebalisage complet de l’entrée de la Casamance. Tant mieux pour tous les marins, et tant mieux pour nous aussi qui ressentons un soulagement immédiat. Nous avons un peu stressé pour rien. Tant pis. Tant mieux peut-être si nous replaçons cet épisode dans le contexte de notre formation continue aux choses de la navigation. Le GPS et la cartographie électroniques inhibent totalement les compétences nautiques que nous avons acquises pendant des années. Nous désapprenons à chaque fois que l’ordinateur redémarre et nous montre l’icône du bateau à sa bonne position... ou pas.

Petit coup de stress tout de même lorsque juste avant d’arriver au passage critique, le cargo Tamaya 1 s’annonce et arrive dans notre arrière à plus de 12 noeuds. Ruée sur la VHF (la radio marine) pour lui demander ses intentions. Rien à faire, il ne comprend pas l’anglais. Et en français ? Ah oui, ca passe mieux. La passerelle du Tamaya 1, battant pourtant pavillon panaméen, nous répond dans un français approximatif teinté d’un fort accent africain bien local. "Ah oui d’accol, c’est toi le bateau rouge. Tu bouges pas, je passe à côté. Oui d’accol. Comme ca. C’est bien oui." Il nous dépasse juste à l’endroit de la passe, là où il faut repartir à 90° sur babord. Ouf !

3m, puis 4m, 5m, 6m, 8m et enfin 12m !!! Le sondeur nous confirme que nous sommes entrés en Casamance ! Nous ne sommes pas trop dépaysés pour notre arrivée dans la région : un fleuve, des oiseaux et de la mangrove au milieu d’un paysage plat, très plat. De loin, toutes les entrées des fleuves d’Afrique de l’ouest se ressemblent un peu. Allons voir plus loin...

Les documents nautiques en notre possession nous recommandent un petit mouillage juste après l’entrée du fleuve, pour une première immersion dans le vert casamançais : le bolong de Djogué, un petit village de pêcheurs, nous tend les bras ! Toutes les roses ont des épines, et chaque bolong son banc de sable. Celui de Djogué ne fait pas exception. Bien qu’il soit explicitement écrit qu’il faut longer de très près la plage sur la gauche en entrant, nous n’osons pas et passons un peu loin, à cause d’une pirogue de pêche dans la passe présumée. Le fond remonte brutalement, et ca devient une habitude, Parsifal s’échoue à nouveau ! Nous forçons un peu le passage, mais c’est pire, et nous sommes complètement échoués. Tout à coup, nous nous rendons compte l’un et l’autre que nous sommes pile à l’étale de marée haute, et qu’il s’agit de la grande marée du mois. Nous sommes stupides, c’était le plus mauvais moment pour tenter une entrée hasardeuse ! Si nous ne sortons pas de là tout de suite, nous risquons de passer un mois entier échoués dans la vase !!! Nous passons d’interminables minutes, sans doute au moins un quart d’heure, le moteur à fond, sans nous décoller. Désespérés, nous sortons toute la toile pour donner un peu de gîte au bateau qui, centimètre par centimètre, sort doucement de sa prison de vase. Ouf, c’était moins une ! Nous nous promettons mutuellement de prendre enfin des cours de voile, avec l’option "calcul de marée".

Mouillage à Djogué

Enfin, Parsifal est mouillé dans son écrin de verdure casamançais, à proximité du village de Djogué. Nous découvrons avec ravissement une nature merveilleuse et accueillante, qui nous fait ressentir plus durement les conditions inhospitalières du Sine Saloum, quelques milles plus au nord. Ici, la mangrove rase fait place à de grands arbres et de vraies forêts. Palmiers et cocotiers ornent le bord de l’eau et prodiguent leurs bienfaits. En lieu et place de la rudesse et de la sécheresse de la savane du Saloum on trouve ici d’immenses rizières et des jardins fertiles. Les manguiers croulent déjà sous le poids des fruits et la promesse d’une récolte abondante.

Pourtant, lorsque notre annexe touche le sable des abords du petit village de pêcheurs, c’est bel et bien un militaire, sa mitraillette en bandoulière, qui nous accueille. Le ton n’est pas très amical. Derrière la facade du jardin d’Eden se cache un pays en situation de guerre civile. Pas de guerre ouverte, non, mais un conflit latent, larvé. Tout le monde se méfie de tout le monde. On parle en chuchotant. On entend tout et son contraire. "Des rebelles se cachent en brousse, derrière". "Non, ce ne sont pas des rebelles, mais des bandits". "Ils sont venus le mois dernier pour piller". "Personne ne les aime ici, vous savez". "On ne se laissera pas faire, chez nous en Casamance, on ne lâchera rien". "Le gouvernement fait exprès de ne pas négocier pour laisser pourrir la situation". "A Dakar, ils ont décidé de laisser pourrir la situation". "L’attaque du mois dernier était une provocation". "On veut vivre en paix, et c’est tout". A nouveau, je ne me lancerai pas dans une tentative d’explication d’un conflit déjà si ancien, car il me faudrait beaucoup de temps pour comprendre, et passer encore quelques années ici, à voir et écouter. On sent néammoins une grande tension qui plane sur une population anéantie par des années de discorde civile, et qui n’aspire qu’à la paix retrouvée.

Beaucoup de militaires à Djogué, donc. Signe des temps, un détachement de l’armée sénégalaise occupe les locaux de l’ex-club med qui se trouvait ici. Moins de touristes et plus de militaires. La situation du moment est un peu délicate en Casamance. Les évènements de septembre dernier ont conduit la France à officiellement déconseiller à leurs ressortissants de séjourner en Casamance. Les routes sont fermées la nuit. Le pays grouille de militaires sénégalais. A nouveau pendant notre séjour dans la région, la situation s’est sensiblement durcie, après que des leaders de la rebellion aient été arrêtés alors qu’ils se réunissaient pour des discussions préliminaires en vue de négociations pour la paix. Ces arrestations ont été suivies d’attaques de militaires par les rebelles. Deux personnes ont été tuées, et l’armée a riposté par de nouvelles attaques. C’est en tout cas la version officielle relayée par RFI, qui nous l’annonçait alors que nous nous interrogions sur l’origine des bruits de tirs que nous avions entendu la nuit, dans la région de Zinguinchor.

Et pourtant, la vie dans les villages de Casamance semble si loin de ces rumeurs guerrières. A part ces bruits de canons qui tonnaient au loin de la grande ville, nous n’avons connu que le calme, la douceur et la bienveillance d’une population extrêmement pacifique et accueillante. Guerre civile ??? On est si loin de tout ce remue-ménage qui mobilise tant les médias et la diplomatie. On a du mal à croire que des gens se font tuer pas loin d’ici, quelque part. On ne l’a pas vécu en tout cas, et il serait malhonnête de ma part de vous décrire un pays en situation de guerre.

Le petit village de Djogué s’avère être un lieu à part, dont la population se compose presque uniquement d’immigrés sénégalais non-casamançais et qui vit exclusivement de la pêche et des activités dérivées (transport, séchage et fumage du poisson, préparation du poisson, négoce, constructions et réparation de pirogues, réparation des moteurs hors bords). Tout le monde pêche, jusqu’aux enfants de six ans qui lancent leur ligne, appatée de tripaille ramassée sur la plage, au bout du banc de sable qui borde l’entrée du bolong. Derrière la plage, sublime, sable blancs et cocotiers, les habitations du front de mer, de rustiques cabanes construites de bric-à-brac, un mariage subtil et inattendu de bouts de tôle rouillés et de feuilles de palmes. Puis ensuite, juste derrière, d’immenses séchoirs à poissons, trétaux formés en bois de palétuvier et recouverts de branchages sur lesquels s’entassent des tonnes de poissons. Les ailerons de requins occupent une place de choix de cet univers plutôt odorant. L’odeur est forte, puissante, et remplit l’atmosphère qui en devient consistante. Derrière le poisson, la décharge. Un immense champ d’ordures borde un marigot repoussant, quelques mètres derrière. Boue huileuse dans laquelle flottent des déchets et tripailles de poissons. Le vent se charge d’éparpiller la multitude de bout de plastiques qui témoigne de l’activité humaine. Au milieu des immondices, des cochons s’égaillent joyeusement, sous le regard bienveillant des innombrables vautours heureux de partager toutes ces richesses en si bonne compagnie. A bonne distance des poules cependant, qu’ils semblent étonnament redouter. Plus loin encore, rizières et cocotiers : le paradis terrestre reprend ses droits.

Poissons séchés...

...et tas d’ordures se partagent l’espace

Comme partout, nous sommes immédiatement pris en charge par les enfants sur la plage. Nos charmantes têtes blondes fascinent toujours autant que notre peau blanche. Notre guide pour aujourd’hui s’appelle Moussa. Dix ans et beaucoup d’intelligence dans le regard. Nous nous laissons mener partout, avides de voir, de connaître, de parler. Moussa sera notre professeur pour nos premiers mots de Jola, et il nous montrera aussi comment pêcher ces poissons qui ressemblent à des poissons-chats.

Le lendemain verra la rencontre d’Habib, immigrant venu de Saint Louis pour les eaux miraculeuses de la Casamance, remplies de poissons. Habib nous invite à partager son repas. Nous prenons l’habitude d’être conviés à tous les repas, par tout le monde. Il est impoli de refuser, et parfois ce n’est pas moins de trois ou quatre repas qu’il nous faut prendre. A chaque fois, tout le monde s’accroupit devant un grand plat posé à même le sol, et chacun mange avec les doigts. Au menu, riz et poisson. Assurément. Invariablement. Quotidiennement. Habib nous invitera souvent à partager des bouts de vie avec sa famille. Nous lui rendrons la pareille en lui cuisinant des crêpes, à lui, sa femme et sa fille à bord de Parsifal. Décalage garanti. Pas sûr que l’estomac sénégalais, habitué à l’ingestion exclusive de riz et de poisson, se prête volontier à ce genre d’excentricité gastronomique. Par politesse, ils apprécient. Notons pour préserver la bonne ambiance du bord, que je ne remets pas en question pour cette fois-ci les talents culinaires d’Armelle.

C’est aussi la rencontre de Moustafa dont la femme est enceinte :
— Ma femme est enceinte, elle ne va pas bien.
— Ah ?
— Elle a souvent mal à la tête, et elle se sent fatiguée.
— Oui, mais on est pas médecin, tu sais.
— Ben oui, mais vous êtes des toubabs.
—  ???...
— Ben forcément, vous êtes beaucoup plus intelligents que nous, vous savez plein de choses.
— (soupirs)... ... et début d’une longue conversation. Est-ce réellement un symptôme d’un complexe d’infériorité, ou bien le produit d’une éducation totalement différente ? D’autres y verront un prétexte pour taxer le blanc, médicaments et argent pour payer le médecin. L’Afrique est pleine de ces échanges hallucinants. Qui manipule qui ? Pour quel résultat ?

Armelle décide d’une expédition lessive au village, histoire de démentir le fameux adage selon lequel le linge sale serait à laver en famille exclusivement. Pour l’occasion (et pour ne pas bousculer les habitudes d’une population ancrée dans la séparation des tâches - horrible justification machiste -), les filles l’accompagnent. Il s’ensuit une petite révolution dans le village. Aux dernières nouvelles, il serait question que les femmes blanches ne peuvent/ne savent pas laver leur linge. Armelle tente d’apporter un démenti formel à cette croyance populaire en rivalisant de vitesse et de vigueur avec les sénégalaises dans l’exercice de cette tâche ingrate. Je retrouve les filles trois heures plus tard. Armelle est sur les genoux, heureuse cependant d’avoir passé l’épreuve avec succès.

Les jours passent. Nous décidons parfois d’expéditions plus nature, et prenons l’annexe pour remonter le bolong. Nous essayons sans succès de pêcher des baraccudas en trainant un leurre le long de la mangrove. Peine perdue. A terre, nous partons explorer les rizières. Partout des manguiers, fromagers, palmiers, baobabs, cocotiers. Dans le ciel et sur les arbres, des cigognes, des vautours, des aigles pêcheurs, des pélicans, des flammands-roses. Parfois un cochon sauvage s’enfuit à la vue de Margot-la-terreur. Nous comprenons ses motivations même si parfois nous regrettons de ne pouvoir faire de même.

Suite à des épisodes "pêche au barracuda" un peu malheureux (nous sommes pour ainsi dire bredouilles), nous persistons tout de même à tenter d’assurer notre autonomie alimentaire. Pauvres occidentaux impuissants que nous sommes à lutter contre une nature aussi hostile. Nous renoncons à capturer un cochon vivant, qui n’est d’ailleurs sans doute pas abandonné. Les mangues nous paraissent trop vertes. Nous ne nous sentons pas de manger du pélican, nous n’avons de toute façon pas de fusil. Ah, des cocotiers ! Ca a l’air d’être un objectif atteignable. A tour de rôle avec Armelle, nous renonçons à grimper selon la bonne vieille technique relayée par l’imagerie populaire, vous savez avec le bout de corde "qui va bien". La dernière solution consiste à canarder les noix de cocos avec tout ce qui nous tombe sous la main, bâtons, pierres, bout de plastique, vieille chaise, etc... La technique est peu glorieuse, et ne donne d’ailleurs rien. Les enfants sont morts de rire de voir leur papa s’échiner à lancer au ciel une foule d’objets hétéroclites. Le destin finira par m’être favorable, et une vieille bouée crevée retrouvée sur la berge me permettra au final de faire tomber deux grosses noix de cocos. Margot me regarde avec de grands yeux admirateurs. Mon statut de père omniscient et omnipotent est sauvé, c’était moins une !

Eringa, paradis terrestre

Mais nous devons repartir pour un rendez-vous dans le bolong d’à-côté, du côté d’Eringa, le débarcadère "marée haute" du village de Rahere. Yves et Soso nous attendent en effet pour prendre réception de la fameuse éolienne embarquée sur l’île de Sal au Cap-Vert. Ce sympatique couple mixte, belgo-sénégalais, est en train de monter là un campement touristique. Le site est splendide, accessible uniquement en pirogue... ou en voilier. Il ne se passe rien de particulier pendant cette navigation qui nous voit remonter le bolong de Kounambéne, si ce n’est une chose relativement formidable et pour le moins inattendue : nous ne nous échouons pas !!! Pas un seul banc de sable traversant le bolong à toute allure sans prévenir. Nous mouillons même sans trop y croire, cherchant l’incident qui n’arrive pas.

Nous fêtons l’évènement le soir même en compagnie d’Yves et Soso (pour Joséphine, ne cherchez pas). Au menu tomates et salades, du potager d’Eringa : un véritable délice pour nos papilles gustatives saturées de riz et en manque chronique de légumes frais et de nourriture estampillée "kerbio". Nous échangeons surtout sur le pays, la Casamance, le conflit en cours, sur la vie des gens d’ici et sur l’avenir offert au casamançais, sur l’animisme et les fétiches. Nous parlons aussi de leur projet, de monter un campement un peu confidentiel dans ce havre de tranquillité qu’est Eringa. L’idée est d’accueillir les gens sur la base du bouche à oreille, des voyageurs à pied ainsi que des équipages de voiliers, désireux d’aller se reposer ou de partir "à l’aventure" en brousse.

Très franchement, nous avons été bluffés par la beauté de la nature qui se cache derrière la haie de palétuviers. De grandes forêts mystérieuses parsemées de sites animistes et de fétiches, des clairières herbeuses autour des marigots remplies d’oiseaux de toutes les couleurs et notamment des perroquets, de grandes rizières bordées de cocotiers, une savane majestueuse d’où l’on croit surgir les lions et les éléphants, des coins de mangrove un peu magiques. La nature est sillonée de sentiers discrets, empruntés par la maigre population éparse qui se dispute un territoire immense. Deux villages distants de plusieurs kilomètres concentrent les habitants de l’île. Toute la journée, les hommes partent récolter le vin de palme, abattre des palmiers pour en retirer le bois nécessaire à la construction des cases, chasser toute sortes d’animaux (nous avons vu la peau d’un python de sept mètres), pêcher les poissons, les huîtres, les crevettes, récolter le bois de palétuvier, cultiver les jardins. Car ici il y a de l’eau, et tout pousse.

Nous partons souvent nous immerger dans cette nature si bienfaisante. Nous partons également à la découverte du village de Rahere, à quelques kilomètres de là. La rencontre est magique. Peu de toubabs (les blancs) viennent par ici, et chaque visite est en soi un petit évènement. Nous sommes accueillis à bras ouverts par le village. Quelques heures plus tard, nous sommes toujours assis à l’ombre de l’arbre à palabres. Les anciens nous retiennent dans une grande discussion sur l’Afrique et la vie dans leur village, tout en tressant des petits entonnoirs destinés à receuillir le vin de palme. Nous sommes bien évidemment conviés pour le repas que nous partageons avec tout le monde. C’est samedi et tout le village est rassemblé car il s’agit du jour communautaire : aujourd’hui il s’agit de construire des briques pour la construction de la future maison du chef du village. Il s’agit de mélanger une exacte proportion de coquillages séchés, cuits et pilés, de terre rouge et d’eau. Puis on moule et on démoule de grands cubes qui une fois séchés au soleil seront utilisés comme des parpaings pour construire la case. Je passe quelques heures avec une pelle à aider la communauté. Armelle s’essaie au pilage du riz, une activité vraiment exténuante.

Yves et Soso, lors d’une soirée passée à bord, nous proposent de nous amener à Nioumoune, un petit village dans le bolong à côté, pour participer à la célébration qui suit les quarante jours après le décès de l’ex-reine. Attention, il ne s’agit pas de la femme de du chef du village, mais bien de la féticheuse du village, c’est-à-dire quelque chose approchant ce qu’on appelerait une sorcière en occident. Nous discutons vite animisme et fétiches. On a coutume de dire qu’ici, certains sont mulsulmans, d’autres chrétiens, mais que tous sont animistes. Est-ce réellement une religion ou une culture ? Je ne saurai dire tant le fossé culturel qui nous sépare, lorsque l’on discute de ce genre de sujet, est profond. Toujours est-il que les fétiches sont partout. Petits objets apparentés aux bricolage des enfants : des bouts de feuilles tressés, avec un coquillage et un os de zébu, un bâton avec une ficelle... Ils suffisent à dissuader n’importe qui de faire ceci ou cela. Vous savez, même si on y croit pas vraiment, "dans le doute"... Les quarante jours qui suivent le décès de la reine sont donc une occasion de fête animiste, où la danse occupe un rôle prépondérant. Ce seront quatre jours de festivités intensives pendant lesquels les femmes passent leur temps dans le bois sacré la journée pour se préparer à la danse le soir. Nous partons donc tous les six dans la pirogue de Yves en direction de Nioumoune, pour notre première immersion dans les fêtes animistes. Sur l’insistance de Soso, et suite au prêt d’un boubou adapté pour l’occasion, Armelle se lance dans la danse. Deux heures de déhanchements rythmés par les tam-tams... et aussi par le vin de palme qui pour l’occasion (et l’on en manque rarement) coule à flot ! Plutôt festif comme deuil.

Ce sont les hirondelles sur le balcon avant du bateau qui nous réveillent le lendemain. Vin de palme ou escapades nocturnes en pirogue dans les bolons de Nioumoune ? Nous nous sentons peu dispos à bouger. L’occasion d’une journée sédentaire. Internet et la lessive suffisent à nous occuper toute une longue journée africaine. Lorsque le soleil se couche et rougit sur la savane et les baobabs au loin, nous savons qu’il est temps de repartir. Nous n’irons pas loin : destination Nioumoune. A Eringa, nous faisons le plein d’eau, de confitures maison, de salades et de tomates "du jardin", et les adieux touchants d’Yves et Soso nous accompagnent pendant les quelques heures de navigation sur les bolongs casamancais qui nous séparent du village de Nioumoune, distant pourtant d’à peine cinq kilomètres.

Au mouillage à Nioumoune

Nioumoune est un village particulier, en ce sens qu’il est sous les feux des projecteurs depuis des années. En effet, ce village pittoresque est le siège de multiples actions de multiples ONG oeuvrant là depuis longtemps. Pourquoi ? Comment répondre après quelques jours passés ici ? Je ne sais pas. Les gens sont gentils, le village est joli, très africain si l’on considère Kirikou comme un modèle d’imagerie populaire africaine. Baobabs, fromagers, rizières, cases rustiques, les femmes sont en boubou, leur enfant sur le dos et pilent le riz : tout y est, et le moindre touriste de passage deux heures ici ramènera suffisamment de photos pour faire croire à 10 ans de vie en Afrique à chaque soirée diapos. Tous les voiliers viennent ici, c’est depuis des années le village "à la mode" s’il on en croit "radio-pontons". Alors, on voulait voir, surtout que tous nos amis y sont passés et y sont restés, pour repartir avec des larmes dans les yeux. Nous sommes émus de connaître cet endroit où nos amis de la "Belle Verte", maintenant au Brésil, ont "duré". Dire qu’on ne se rate que de quelques semaines. Et c’est vrai qu’on s’attache, tout le monde est si accueillant.

Et puis Nioumoune, c’est le village le plus animiste du monde. J’exagère à peine. Ici, tout est régi par les fétiches et les féticheurs. Ici, on a coutume de ne pas fermer son bateau, de ne pas attacher son annexe ou de ne pas cadenasser son hors-bord : le vol est inimaginable, car tout voleur potentiel est terrorisé par le mauvais sort qui l’affecterait s’il passait à l’acte. Tout, dans le village, est régi, réglé par les fétiches, omniprésents. Les gamins n’osent pas jeter un papier dans le marigot dans lequel est planté un bout de bois avec un bout d’herbe sèchée tressé sur le dessus. Tout ceci laisse songeur. Ainsi une société sans police, mais sans vices, sans délits ? une société entièrement auto-régulée ?

Un monde parfait ? Dépassons l’image d’Epinal pour aller un peu plus loin. C’est aussi une société complètement sclérosée, dont le pouvoir est détenu par une poignée d’individus qui font règner une sorte de terreur sur ceux qui pourraient sortir du rang. C’est une société où les jeunes sont complètement inhibés et placés dans un état de soumission et d’ignorance, à la merci des anciens qui ne veulent évidemment que rien ne change. Une grande cérémonie aura lieu d’ici quelques mois, et pour la première fois depuis 25 ans : la grande circoncision. Beaucoup de jeunes que l’on a rencontrés sont terrorisés par les épreuves qu’ils devront endurer, et le poids de la tradition et des ancètres pèsent fort sur leurs jeunes épaules qui devront pourtant supporter les défis du monde et de la société de demain. Une société qui respecte ses anciens mais qui ne respecte pas ses jeunes ? Non, ce n’est sans doute pas si simple.

Nous sommes tiraillés entre notre désir profond de "se poser" un peu, pour apprendre et connaître, et notre objectif d’aller à la rencontre du peuple Bijogo dans l’archipel des Bijagos, une centaine de milles plus au sud, en Guinée Bissau. Le temps joue contre nous. La saison des pluie approche, la température et l’humidité augmentent de jour en jour. Dans deux mois, les premières "tornades" commenceront à balayer le pays. Nous ne pouvons pas nous attarder comme on le voudrait. Alors quelques jours encore mais après il nous faut à nouveau lever l’ancre. Nous consacrons ces quelques jours à partir à la rencontre de la population de Nioumoune. Ce n’est d’ailleurs pas difficile. Il suffit de mettre le pied à terre pour être entourés.
— Kasumay
— Kasumay kep
— Kasumay Kasumay
— Ca va bien ?
— Oui ca va bien merci. Et toi ca va.
— Ca va bien. Et la famille ca va bien ?
— Oui, ca va bien merci
— Alors, ca va ?
— On est là
— Et les affaires, ca va ?
— Ca va bien, merci.
— Comment t’appelles tu ?
— Sylvain. Ma femme Armelle. Et mes enfants Louise et Margot.
— Ah bon, c’est bien.
— Oui, voilà
— Et à part ca, ca va bien ?
— ... Les filles se moquent gentiment ("pourquoi les gens passent leur temps à nous demander si ca va bien et comment on s’appelle ?"), et il faut dépasser le stade des salutions d’usage avant de pouvoir aller plus loin. Le décalage culturel est gigantesque, et il faut énormément de temps avant d’établir un vrai contact, une relation équilibrée où l’on échange de vraies idées un peu profondes. Il faut avant se connaître un peu, savoir qui l’on est, ce que l’on fait, ce qui se cache derrière ceci ou cela. C’est beaucoup plus compliqué que ce qui apparaît superficiellement. Nous nous faisons quelques "amis", avec lesquels nous passons les quelques heures nécessaires avant de pouvoir parler de la société d’ici, de la culture, de la religion, des fétiches, de la rebellion, de l’occident, de la vie.

Sur le tronc du baobab, la peau d’un python de sept mètres... tué à quelques centaines de mètres

Trouver du pain, trouver de l’eau, trouver un poulet, acheter du poisson ou des huîtres. Voilà autant de prétextes à aller à la rencontre du village. Aucune de ces tâches n’est si simple que ça, et lorsqu’on est un "toubab", l’opération implique au minimum une bonne dizaine de personnes. Alors il n’est pas besoin de prévoir un programme : le moindre prétexte pour aller à terre fera le planning de la journée. Plutôt déroutant pour un occidental, mais très agréable à vivre dans la perspective du voyage. On se laisse aller. Et effectivement, on se laisse gagner par une certaine langueur, langueur encore accentuée par la chaleur qui plombe la journée.

A l’occasion d’un achat de poulet, une affaire réglée "rapidement" en moins de deux jours (pas facile de trouver un poulet, ils finissent tous par être sacrifiés par un féticheur), nous voilà invités par le quartier à partager un cochon pour une fête animiste : le rite initiatique d’un jeune homme ou quelque chose d’approchant. Enfin, tout le monde n’est pas d’accord, on ne sait pas trop pourquoi on est réunis. Il semble tout de même qu’un "roi" soit présent, qui bricole un fétiche. Tout le monde retient son souffle lorsque Margot décide de s’emparer du fétiche en question : "C’est rigolo le bricolage du monsieur avec son drôle de chapeau, je peux jouer avec lui ?". Je rattrape la petite in-extremis avant l’incident diplomatique, et la pression retombe dans les libations collectives, autour d’un jerrycan de vin de palme. Les discussions sont joyeuses et une conversation me revient à l’esprit. Je discutais avec un des anciens qui moquait gentiment mon jeune âge. Je lui renvoie sa question :
— Et t’as quel âge toi ?
— Je sais pas, peut-être 50/55 comme ça. Tiens, c’est pas dur, je suis né en 39
— (Silence) Alors tu as 71 ans ?
— (Rires) Non quand même pas. Mais en tout cas, ce qui est sûr c’est que je suis de 1939 !
— ... ???

Alors que nous étions le seul voilier, deux voiliers avec enfants nous rejoignent au mouillage : Bagghera et Stellina. Voilà pas moins de huit têtes blondes engagées dans la gestion d’un hôtel-restaurant-hôpital sur un des bateaux, alors que les six parents se retrouvent lâchement à l’occasion d’un apéro sur un autre bateau. Nous voilà retenus quelques jours supplémentaires. Il est surprenant de voir à quel point les enfants sont eux aussi baignés dans une certaine culture et la recherchent inlassablement. Alors que nous sommes en voyage depuis des mois, au contact permanent d’une multitude d’enfants, ce sont les enfants de leur culture que Louise et Margot recherchent. Sans doute comme pour nous, comme pour tous les expatriés du monde dans tous les pays du monde. Ce sont ces enfants là qu’elles comprennent bien, avec lesquels elles partagent un socle commun suffisant pour passer du temps ensemble sereinement et sans incompréhension. Connaître l’Autre ? Comprendre l’Autre ? Mais vivre avec l’Autre ?

Remontée de la Casamance : destination Zinguichor

L’ancre est à nouveau sur le pont. Nous aussi. Devant l’étrave se déroulent lentement les paysages casamançais, au rythme des virages de la rivière et des vasières qui bordent les berges. D’innombrables dauphins nous saluent. L’eau est si trouble, si chargée de boue que les dauphins sont complètement invisibles une fois sous l’eau. C’est déroutant pour nous qui sommes si habitués à leur présence, et à les voir évoluer sous le bateau. A nouveau, des rêves d’eaux claires nous reprennent. Et si aux Bijagos l’eau était plus claire ?

Nous sommes partis trop tard, et Zinguinchor est bien loin, tout là-bas au milieu des terres. Nous n’arriverons pas ce soir. Qu’à cela ne tienne, voilà une belle occasion de mouiller n’importe où. Pas de chance, le "n’importe où" tombe ce soir là sur un banc de sable affleurant, à quelques mètres à côté du chenal, dans les parages de la pointe des Diolas. Nous nous échouons une nouvelle fois, sans gravité, avant de jeter l’ancre une dizaine de mètres à côté, cette-fois dans cinq mètres d’eau.

L’aube nous surprend par sa beauté. Nous devrions y être pourtant habitués. Mais au calme et à la majesté du soleil qui se lève sur un grand fleuve de l’ouest Africain, on ne s’habitue peut-être totalement jamais. Les oiseaux saluent le retour du soleil et la brume matinale se dissipe vite dans la bulle de chaleur qui nous enveloppe bientôt. Le charme est rompu. Le démarrage du moteur diesel est de toute façon un acte profane dans ce sanctuaire. Nous n’y pouvons rien, et reprenons notre avance vers Ziguinchor.

Au détour d’un virage de la rivière, nous croisons Cochise, le voilier de nos amis avec lesquels nous avons participé à la mission VSF dans le Sine Saloum quelques semaines auparavant. Nous sommes heureux de nous revoir, bien que nous savons que nos sillages risquent de ne pas se croiser avant longtemps : ils sont presque déjà dans la remontée de l’Atlantique vers les Canaries. A bientôt et bon vent ! Quant à nous, voilà au loin les premiers bâtiments : Zinguinchor, capitale de la Casamance, est juste devant nous !

Alors que nous imaginions un mouillage bondé, et que nous étions toute à notre joie de revoir d’autres bateaux, voilà que nous ne trouvons qu’un seul autre voilier. Mais il s’agit d’Evaloa, le maintenant bien célèbre "bateau-cinéma" qui sillonne les villages de Casamance pour projeter des films aux populations. Nous sommes heureux de rencontrer enfin Yann et Pauline, dont nous avons beaucoup d’amis en commun. Très vite, notre annexe est à leur couple et nous nous promettons de passer la soirée ensemble.

Mais Zinguinchor n’est pas une escale d’agrément. Juste le point de passage obligé pour toutes les paperasses et autres nécessités logistique avant le dernier grand bond vers l’archipel des Bijagos. Alors commence une phase d’activités fébriles où il s’agit en vrac de faire des visas pour la Guinée Bissau, de rencontrer un médecin pour enfin régler le problème d’otite récurrent de Louise, de trouver des documents nautiques pour accéder aux Bijagos, de faire les plein d’eau, d’eau potable, de gaz, d’essence, de gasoil, de refaire l’avitaillement du bateau (trouver de la bière et du vin, ouais). Il faudrait aussi faire la vidange, changer les filtres du moteur, s’occuper de multiples petites réparations. Enfin essayer de reprendre contact avec nos proches, trouver de l’internet et s’occuper de notre correspondance.

Tout ceci nous permet de découvrir Zinguinchor, une ville finalement pas si désagréable que ça. Armelle tire partie de l’occasion qui se présente à elle de tenter une expédition d’aller découvrir le marché à Bouquote avec les filles. Déambulations dans un dédale d’allées plus ou moins sombres et crasseuses, dans les quartiers des tissus, du poisson et des légumes.

Après quatre semaines à dépenser moins de 50 euros à quatre, Zinguinchor est aussi pour nous le royaume de toutes les tentations. Si les dépenses comme le gasoil (une vraie fortune pour remplir à nouveau nos réservoirs) sont indispensables, d’autres le sont moins. Gavés de riz et de poisson depuis des semaines, nous sommes avides de retrouver nos bons vieux réflexes d’occidentaux consommateurs. Un restaurant nous tend les bras, et nous ferons la visite d’une supérette libanaise spécialisée dans les produits de luxe (disons tout ce qui n’est pas riz/poisson/cube maggi). Plus de 60 000 CFA (100 euros) claqués en quelques heures ! Armelle règle définitivement le problème des dépenses somptuaires en se faisant capturer sa carte banquaire. Radical !

Et puis aussi, pour fêter le retour à la ville, Yann et Pauline nous traînent jusqu’à l’Alliance Française pour aller au concert : Jacques Ketia et ses frères (et soeurs). Des bières fraîches, des lumières. Ambiance festive, on part danser. Ouah, que ça faisait longtemps. Ca fait un bien fou !

Enfin, et parce qu’il fallait le faire sous peine d’avoir une mutinerie à notre bord, nous nous faisons une vraie journée farniente de toubabs riches : repas à l’hôtel de luxe devant lequel le bateau est mouillé, suivi d’une après-midi de piscine. Décalé. Très décalé. Au début, j’ai eu du mal à apprécier, tant cela me posait un problème moral. La bière fraîche et les frites accompagnant la viande ont fini par me dérider : nous ne sommes pas grand chose et nos grandes idées sur le monde ne font pas long feu devant le contentement de l’exultation de nos corps. Ou bien n’est ce que moi ?

Encore quelques préparatifs. MaxSea se permet un plantage total. J’ai l’occasion de me replonger dans les délices des problèmes informatiques, une longue journée devant mon ordinateur. Nostalgie de ma vie "d’avant" ? Je n’ai rien gagné en sagesse, je m’énerve toujours autant contre ces machines propres à rendre fou tout être humain à peu près normalement constitué.

Et nous voilà repartis vers l’embouchure. L’onde de marée n’est pas si rapide en Casamance, et le décalage entre l’étale de marée basse à la passe d’entrée et l’étale de marée basse à Zinguinchor est de deux heures : nous n’avons devant nous que quatre heures de courant favorable. Nous mouillons à nouveau devant la pointe des Diolas avant de repartir le lendemain pour atteindre cette fois-ci la Pointe Saint-Georges à midi. Quelques heures seulement au mouillage. Pourtant nous rencontrons des gens du village. Avec Louis et Pierre (le chef du village), Armelle discute d’Aires Marines Protégées (ils semblent très concernés, déconcertant d’avoir ce genre de discussion dans un petit village reculé du bout du monde), lamantins et rebelles. Louis vient manger à bord, et arrive les bras chargés de noix de coco qu’ils a cueillies pour nous. Nous avons une chouette discussion avec cependant un gros malaise lorsque le débat s’engage sur l’épisode de la colonisation. Il est choquant pour nous d’entendre que ceci était nécessaire et que cela a constitué un bienfait pour l’Afrique, qu’il fallait tirer de son obscurantisme. Merci à l’homme blanc. En filigrane un grand discours sur "l’infériorité" (supposée) africaine. Forcément derrière, la vision d’un seul modèle de société possible : le mode de vie occidental, la croissance et la consommation à outrance. Comment l’Afrique sortira-t-elle de ce bourbier dans laquelle elle est engagée, si les élites ne promeuvent que leurs intérêts personnels, à eux et leur semblables, en favorisant la corruption, et si le peuple s’enfonce dans un complexe d’infériorité ?

C’est sur ces considérations et sur le malaise qui en découle que nous reprenons au soir notre lente descente de la Casamance. Cette fois-ci, c’est presque à la sortie, devant Elinkine, que nous mouillerons pour cette ultime nuit en Casamance avant longtemps. A nous demain les derniers milles avant les Bijagos...


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